DISTRIBUTION AGRICOLE : FUTUR GROSSISTE OU ACTEUR STRATÉGIQUE DU CONSEIL ? Gérer la pluralité des agricult eurs
L'accélération de la segmentation des agriculteurs ouvre la voie à un éclatement du conseil.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Le comportement des agriculteurs change, c'est une tendance forte depuis quelques années, notamment dans leurs relations à leurs partenaires. Lorsque l'on a présenté les résultats de notre sondage à nos participants, ce qui a d'emblée fait écho à leur ressenti, c'est bien cette question sur les structures ou personnes les plus à même de les aider à réduire les phytos (voir ci-contre). Si, bien sûr, les coops et négoces présents se sont félicités de la première place tenue par la distribution (malgré une légère érosion), c'est surtout la forte augmentation (de 11 à 17 % en trois ans) de la proportion de producteurs ne disant avoir besoin d'aucun partenaire pour les accompagner qui les a interpelés. Et d'essayer de décrypter cette population émergente.
Individualisation croissante
Selon Florent Thiebaut, agriculteur et conseiller de Ceta, dans ces 17 %, « il y a à la fois des agriculteurs qui pensent qu'on ne peut pas réduire les produits phytos, donc que personne ne pourra les aider, et des agriculteurs innovants qui, peut-être, pensent que leur TC n'est pas assez technique et n'a pas l'approche système que peuvent avoir certains conseillers de structures indépendantes ». Même si, pour le coup, dans notre sondage, ils n'ont pas forcément identifié des conseillers indépendants. Eric Barbedette (Actura) tient d'ailleurs à signaler que le conseiller indépendant ne prône pas forcément la réduction des phytos : « Sachant qu'il n'est pas forcément là tout le temps, il peut avoir tendance à charger un peu pour être sûr d'avoir le résultat escompté. » Mais il croit à cette tendance où l'agriculteur s'individualise, et veut se faire son avis lui-même. Maxime Delbouis, chez Qualisol, apporte aussi un éclairage : « Ce sont peut-être des personnes très indépendantes, qui ne ressentent pas la nécessité d'être accompagnées. J'en vois pas mal en bio. Et quand on regarde le niveau de conversion, il faut aussi s'en inquiéter. » L'agriculteur François Jacques insiste : « J'ai bien peur que ces 17 % d'agriculteurs qui n'ont pas besoin du conseil de leur distributeur, représentent déjà 50 % du volume aujourd'hui, et 60-70 % demain. » Morgane Rolland, chez Groupe d'aucy, alerte : « Pour transformer leur système (passage en bio, changement de technique, plus d'alternatives), les agriculteurs ne passent plus obligatoirement par la coopérative et vont chercher d'autres conseils. » Vincent Magdelaine tempère en rappelant qu'il y a de plus en plus de coopératives mixtes qui accompagnent les agriculteurs dans le passage en agriculture bio.
« Monsieur Synthèse »
« D'un point de vue sociologique, il faudrait vraiment qu'on arrive à creuser sur l'évolution des exploitations », ajoute CrystelL'Herbier, directrice d'AgTip, joint-venture entre Arvalis et Agrosolutions, rappelant qu'une ferme sur deux aura changé de main dans dix ans. « Y aura-t-il des grosses exploitations avec des gens mieux formés, étant donnée la montée en puissance du niveau d'études des agriculteurs ?Ou va-t-on assister à une explosion des doubles actifs, comme au Danemark, qui vont vouloir du clés en main et feront confiance à leur technicien ? » Deux aspérités se dégagent en effet dans le portrait-robot de l'agriculteur multifacette de demain : celle d'un « Monsieur Synthèse » (comme le nomme François Jacques), un chef d'entreprise qui vient synthétiser les conseils pris à droite à gauche (au risque d'être contre-productif), et celle d'un double actif qui aura peut-être davantage besoin d'accompagnement. Benjamin Garnier, chez Fortet Dufaud, le dit autrement : « On a toujours ceux qui veulent sécuriser à fond, mais on voit de plus en plus de viticulteurs devenir des chefs d'entreprise, et donc avoir besoin de conseils globaux. Il n'y a pas beaucoup de structures qui peuvent leur apporter cela. Nous, c'est notre objectif de leur proposer quelque chose d'assez global. » Quoi qu'il en soit, le conseil devra être différencié selon la condition du chef d'exploitation.
« Je veux mes 10 000 € »
Coop de France, de son côté, a justement réalisé l'année dernière un exercice prospectif pour déterminer les enjeux majeurs dans les dix ans à venir. Le premier d'entre eux qui est apparu, est l'éclatement des profils des agriculteurs. « Il y a une accélération de la pluralité dans l'agriculture liée au fort renouvellement des chefs d'exploitation, abonde Vincent Magdelaine. Les nouveaux venus n'ont pas les mêmes aspirations que leurs parents et, puisqu'ils sont mieux formés, ils se replacent au centre du système en tant que chef d'entreprise. Sauf qu'ils ne peuvent pas tout maîtriser, donc ils ont besoin d'aller picorer des compléments, et pas forcément toujours dans le même domaine. Dans ce cadre, le conseiller du distributeur restera un référent parmi d'autres, mais ne sera plus le conseiller principal. C'est une évolution naturelle. »
Eric Barbedette le confirme : « L'agriculteur de demain, comme tout entrepreneur, n'aura pas l'expertise dans tous les domaines, même si son niveau de formation de base s'améliore. Il aura besoin de conseil. » Sera-t-il prêt à mettre la main au portefeuille ? Pour François Jacques, il n'y a pas de doute. Sachant qu'il achète à peu près pour 50 000 € de phytos à sa coop avec qui il travaille à 100 %. « Je connais bien les marges, la coop me prend 10 000 €. Je veux mes 10 000 pour pouvoir payer mon conseiller. Je demande que ce droit existe. Et là, c'est malheureux, c'est la loi qui va permettre de le faire, qui va amener de la clarté au système et nous donner de l'efficacité. » n
Sommaire
Gérer la pluralité des agricult eurs
Pour accéder à l'ensembles nos offres :